Sorthérus

²_ Réveille-toi !
²_ De quoi ?
²_ C’est moi, Sorthérus. On t’a jeté un sort de sommeil. Heureusement que je suis là ! Regarde autour de toi.
²_ Qu’est-ce que…²
Je découvre avec horreur que tous mes compagnons ont disparu. Je me relève précipitamment Sorthérus au poing. Soudain quelque chose apparaît face à moi : je ne saurais dire exactement ce que c’est.
²_ Ça s’appelle un grimpek, me susurre l’épée maudite, et ça n’est jamais seul. Prépare-toi à un rude combat.²
La chose s’approche de moi craignant apparemment mon épée.
²_ Elle me craint car elle sent ma nature de démon.²
Cette chose ressemble à une araignée gigantesque, du moins le corps car elle a une tête humaine. Ses huit pattes semblent lui permettre de bouger rapidement. Elle possède également deux bras ; elle tient une épée dans une main et un bouclier dans l’autre. De plus, son abdomen monstrueux se termine par un dard dont la piqûre me serait fatale, je n’en doute pas un seul instant.
²_ Tu ferais mieux d’éliminer celui-là avant que d’autres n’arrivent.²

Écoutant les conseils de Sorthérus, je passe à l’attaque ; le bouclier de la créature dévie mon coup et son épée riposte à une vitesse fulgurante, me faisant une entaille à la poitrine. La force et la vitesse de ce monstre m’impressionnent, et je doute de m’en sortir.
²_ Eh, n’oublie pas que tu as un gros avantage : moi. Et puis, tu ne dois pas mourir, pas encore.²
Un autre coup se dirige sur moi et je le pare avec difficulté. Le combat dure et je commence à paniquer car ses petits amis devraient bientôt arriver. Au moment où la fatigue, la peur et le stress commencent à avoir raison de moi, une nouvelle énergie commence à m’envahir.
²_ Sorthérus, c’est toi ?
²_ En partie, oui. Mais une autre part vient d’ailleurs… C’est bizarre, mais ça me semble familier…²
Le combat s’équilibre à nouveau puis je commence à prendre le dessus. D’un coup monumental, je fracasse le bouclier de mon ennemi. Perdant pied, le grimpek décide de s’enfuir. Son extraordinaire vitesse m’empêche de lui donner le coup de grâce. A sa demande, je lève Sorthérus et intente un sortilège. La lame se met à briller d’un rouge de plus en plus vif et je vois la créature s’effondrer car ses pattes ne la portent plus. Des crevasses apparaissent sur son corps et le monstre se met à hurler de douleur. Je m’avance vers lui et lui tranche la tête.
²_ Pourquoi l’as-tu achevé ? Je m’amusais bien.
²_ Il est inutile de faire souffrir quelque un qui a perdu.
²_ Tu veux savoir comment tu serais mort s’il t’avait attrapé ? Ces monstres ne connaissent pas la pitié.
²_ Il est vrai qu’entre monstres vous vous comprenez. Mais ses cris d’agonie risquaient d’en attirer d’autres.

²_ Je crois qu’il est trop tard pour ça.²
Je regarde autour de moi et découvre avec horreur que des dizaines de ces créatures m’ont encerclé.
²_ Sorthérus, tu peux me sortir de là ?
²_ Si je n’étais pas prisonnier de cette lame, ça ne me poserait aucun problème. Mais là, mes pouvoirs sont très limités. Tu vas devoir te battre au corps à corps.
²_ Je n’y arriverai jamais, ils sont trop nombreux.
²_ Moi aussi j’aurais voulu que tu vives plus longtemps. Montre leur de quoi on est capable tous les deux.²
Au fur et à mesure de ma conversation mentale avec l ‘épée, les grimpeks ont resserré leur cercle autour de moi. Une première de ces créatures se jette sur moi mais, rapide comme l’éclair, je me décale et abat Sorthérus sur le monstre. Les deux parties de son corps retombent lourdement sur le sol. Puis, comme si un accord silencieux était passé entre eux, toutes les créatures de la première ligne se jettent sur moi. Au moment où je m’apprête à frapper, plusieurs de ces monstres tombent au sol une flèche plantée dans l’abdomen. Les autres finissent embrochés ou coupés en deux par l’épée démoniaque. Les flèches continuent de pleuvoir sur les monstres pris au dépourvu. Mon épée s’abat à gauche et à droite semant la mort dans les rangs des grimpeks alors que je me dirige vers l’endroit d’où proviennent les flèches ; les grimpeks s’enfuient maintenant, ne pensant plus qu’à sauver leur peau. C’est la débandade. Puis la pluie de flèches s’arrête aussi soudainement qu’elle avait commencé. Une guerrière atterrit au milieu de la clairière et détruit chaque monstre qu’elle touche de sa masse. Je me mets à attaquer avec elle. A la fin du combat, le sol est jonché de cadavres. Je me retourne vers la mystérieuse guerrière et découvre avec stupeur qu’il s’agit de Namië.

²_ Viens, me dit-elle. Il faut se dépêcher avant que les grimpeks ne reviennent. Suis moi.
²_ Et les autres, il faut les retrouver.
²_ Pas ce soir, c’est trop dangereux.
²_ Mais ils vont se faire tuer, si ce n’est déjà fait.
²_ Non. Les grimpeks n’aiment que la viande fraîche Et à la lumière du soleil, il sera plus simple de les libérer. Viens.²
Je suis donc la guerrière pendant un moment. Après une petite demie heure de marche dans les bois, l’elfe estime que l’on s’est assez éloigné de ces monstres et décide que l’on va finir notre nuit ici.
²_ Dis moi Namië, c’est toi qui nous suit depuis le début ?
²_ Oui.
²_ C’étaient quoi ces choses ?
²_ Des grimpeks ; des créatures à mi-chemin entre l’araignée et l’humain, quoique plus proche des arachnides. Ils sont assez bruyants quand ils se déplacent, et pour éviter de se faire repérer par leur proie, ils les endorment par magie. Tu as eu de la chance de te réveiller avant qu’ils ne te prennent.
²_ Ce n’est pas de la chance ; Sorthérus a levé le sort et m’a réveillé.
²_ C’est vrai que ce n’est pas une simple épée. C’est un démon qui a gardé une partie de ses pouvoirs quand il a été enfermé.
²_ Dis-moi, cette masse que tu utilises est plutôt efficace. Je ne l’avais jamais vue au village.
²_ C’est parce que je ne l’utilisais pas. Selon la légende, cette masse d’arme a été forgée et bénie par Lauraënna en personne, la déesse guerrière des elfes. Lauraënna l’aurait ensuite offerte à Igildar, premier elfe à avoir foulé la terre de mes ancêtres : Lauraën, le royaume perdu. Igildar avait pour mission de protéger la forêt de Lauraën qui devint son royaume par la suite. Comme tu as pu le voir, cette masse réduit en poussière toute créature maléfique qu’elle touche.
²_ Mais comment es-tu entré en possession d’une telle arme ?
²_ Ça, c’est une longue histoire que je ne te raconterai pas ce soir. Va te reposer, demain risque d’être assez fatigant. Je vais monter la garde.
²_ Mais, et si les grimpeks attaquent ?
²_ Pas une deuxième fois ce soir. Ils ont subi de lourdes pertes. Ils n’ont pas l’habitude de se faire attaquer par des proies.
²_ Très bien, réveille-moi pour la relève.²

Quand j’ouvre les yeux, je vois Ngbandi la même place comme si je n’avais dormi que cinq minutes. Mais les étoiles dans le ciel m’indiquent que plusieurs heures se sont écoulées et que l’aube ne devrait pas tarder à se lever.
²_ Pourquoi ne m’as-tu pas réveillé ? Je t’aurais relayée.
²_ Tu avais plus besoin que moi de te reposer. Tiens, mange ça pendant qu’on se prépare à partir. Il ne faut pas tarder si on veut intercepter les grimpeks et sauver nos amis.²

On se met rapidement en marche. Au bout d’un moment, du bruit nous parvient aux oreilles et Namië m’explique que ce sont les grimpeks qui sont en marche vers leur tanière. On doit les arrêter avant qu’ils n’atteignent leur antre si on veut avoir une chance de sauver nos amis. On court vers ce que Namië pense être la direction prise par les créatures. Au bout d’un moment, on s’arrête ; l’elfe m’indique un arbre et me dit d’y grimper tandis qu’elle-même prend place dans un arbre voisin. Au bout d’un petit moment d’attente, la tête de la colonne grimpek apparaît. Des guerriers s’installent de chaque côté du sentier pour sécuriser le passage. Des grimpeks plus petits vont passer au milieu avec leurs prises de la nuit ; du moins, c’Est-ce que m’a expliqué Namië. Au moment où ceux-ci apparaîtront, l’elfe commencera à tirer des flèches ; pendant ce temps, moi je devrais empêcher toute fuite des ouvriers. Au moment où le premier ouvrier fait son apparition, des flèches commencent à pleuvoir sur la colonne. A ce moment là, je saute au milieu des grimpeks ahuris. Le temps qu’ils reprennent leurs esprits, deux dizaines de ces monstres sont morts soit abattus par des flèches soit tranchés en deux par mon épée. Namië me rejoint et la masse d’Igildar et Sorthérus sèment la mort dans les rangs grimpeks. Le combat se termine rapidement ; aucun de ces monstres ne s’en est sorti vivant. Leur chasse ayant été fructueuse cette nuit, de nombreux paquets jonchent le sol. Les grimpeks enferment leurs proies endormies dans des sacs faits avec la peau de leurs précédentes victimes. On va devoir les ouvrir jusqu’à ce que l’on trouve nos compagnons. La plupart des sacs contiennent des animaux ou des orcs puis, au bout d’un moment, nos amis sont libérés ; mais, malgré tous nos efforts, on n’arrive pas à les réveiller.

²_ Sorthérus, cette nuit tu m’as réveillé de mon sommeil magique ; peux-tu faire la même chose avec eux ?
²_ Bien sûr.²
Un court instant, mon arme émet une étrange lueur dorée qui va envelopper nos compagnons. Les uns après les autres, ils ouvrent les yeux et regardent d’un air effaré le champ de bataille.
²_ Qu’est-ce qui s’est passé ici ? demande Faroma.
²_ Des grimpeks vous ont attaqués hier mais l’Élu et moi-même les avons éliminés. Mangez un peu puis mettons nous en route.
²_ Namië, que fais-tu ici ? Tu devais rester à Finchester.
²_ Et si je t’avais écouté, vous seriez tous morts ; même Élu avec Sorthérus ne pouvait tenir tête seul à tous ces grimpeks. Il allait être submergé par le nombre quand je suis intervenue ; et encore, seul l’élément de surprise nous a assuré la victoire.
²_ Eh bien, très chère, je suppose qu’on vous doit des remerciements.
²_ Qu’un nain me remercie me flatte drôlement.
²_ Vous savez Namië, il n’y a pas de honte à reconnaître les moments où l’on a besoin d’aide ; et hier on avait assurément besoin d’aide. Et remercier pour avoir reçu de l’aide n’est pas honteux non plus, même si cette aide vient d’une elfe.
²_ Merci Bramak, je suis touchée. Mais assez parlé, on n’a pas de temps à perdre.²

Après nous être rapidement restaurés, nous reprenons la route et sortons enfin de cette forêt. Les montagnes vers lesquelles nous nous dirigeons se sont maintenant bien rapprochées.
²_ Voyez-vous Élu, ces montagnes, les Monts d’Or, étaient autrefois la demeure de mon peuple.
²_ Pourquoi être partis ?
²_ Les palais qu’on y a construit sont peut être magnifiques, mais le minerai extraits de nos mines se fit de plus en plus rare. Puis le mithril a été trouvé en grande quantité dans les Monts Noirs ; malgré la mauvaise réputation de ces montagnes, mon peuple s’y est rendu. Et effectivement, on y a trouvé du mithril ; mais il a fallu se battre pour vider les montagnes des brigands, des orcs et autres monstres. Ça nous a coûté cher, mais ça valait le coup.
²_ Et c’est quoi le mithril ?
²_ Le mithril est la chose la plus précieuse de ce monde. Sa valeur est plus importante que celle de l’or ou des diamants. C’est un métal avec lequel on peut forger les meilleures cottes de mailles et armures. On renforce toutes les armes avec du mithril. C’est plus résistant que n’importe quel autre métal ou alliage, et bien plus léger.
²_ Pourquoi ne pas avoir créer une colonie tout en restant dans les palais des Monts d’Or ?
²_ On ne pouvait rester.
²_ Pourquoi ?
_ Apparemment, vous tenez à le savoir, Élu. Je ne suis pas fier de ça, mais vous avez le droit de savoir.
²_ Savoir quoi ?
²_ Si on risque notre vie pour tuer Barkor, c’est la faute des nains !

²_ Monseigneur elfe, si votre peuple ne nous avait pas trahi, rien de tout ceci ne serait arrivé.
²_ Golorel, Bramak, calmez-vous ! Je pense que Élu ne comprend pas grand-chose.
²_ Effectivement, mais si l’elfe arrête de m’interrompre peut être que je pourrais expliquer clairement ce qu’il s’est passé.
²_ Et entendre un nain calomnier mon peuple, non merci !
²_ Arrêtez ! Je vais expliquer ce dont on est sûr.
²_ D’accord, mais tu as intérêt à être impartial Faroma.
²_ Il y a un peu plus de 500 ans de ça, les elfes et les nains vivaient en paix. A vrai dire, les deux peuples s’appréciaient. Des festins étaient régulièrement organisés dans les palais des Monts d’Or aussi bien que dans les forêts elfiques. Les elfes et les nains travaillaient ensemble. A vrai dire, personne ne peut surpasser les nains dans le travail de la pierre, des métaux et des pierres précieuses. Les elfes quant à eux, travaillent le bois à la perfection et sont les maîtres de la magie. Les elfes et les nains avaient mis leurs capacités en commun pour créer des objets hors du commun. Les meilleures armes, armures et boucliers sont sortis de ces forges communes où se mêlaient l’art nain et la magie elfique. Seuls quelques rares artefacts tels que Sorthérus les surpassent. Gunthar, bien qu’étant supérieure aux armes naines ou elfiques, ne peut rivaliser avec les armes fabriquées lors de cette entente. Puis, un jour, les nains ont quitté les Monts d’Or et se sont installés dans les Monts Noirs. Ils ont éliminés les monstres de ces montagnes mais n’ont plus accepté un seul elfe dans leur nouveau royaume. C’est à ce moment là que les attaques ont commencé dans la région des Monts d’Or. Au début, elles étaient timides et facilement repoussées mais devinrent de plus en plus sauvages. En tant qu’humains, nous ne savions pas ce qu’il se passait ; on est donc allé voir les nains mais ils ne nous ont donné aucune explication. Les elfes ne se sont pas montrés plus loquaces. Ce n’est qu’avec le temps que nous avons découvert la raison de la fuite des nains : au cœur de leur royaume était apparu un portail donnant sur les enfers. Bien qu’il ait mis du temps à venir, c’est par là que Ça est arrivé. Les nains ont accusé les elfes d’avoir armé leurs ennemis avec les armes fabriquées par les deux peuples. Les elfes ont toujours nié avoir commis un tel acte. Ce dont on est sûr, c’est que des orcs ont attaqué les nains et qu’ils avaient certaines de ces fabuleuses armes en leur possession. Les nains les gardaient avec leurs trésors car les elfes n’en avaient pas besoin. Mais aussi bien les nains que les elfes avaient accès à ces armes. Toujours est-il que les nains furent pris au dépourvu par l’attaque sur deux fronts : les créatures s’échappant du portail et les orcs à leurs portes. Ils subirent de lourdes pertes et durent s’enfuir pour sauver leur peau.

²_ Et nous n’avons rien pu emmener avec nous, si ce n’est le Marteau d’Yrarak. Cette arme réduit à néant chaque géant qu’elle frappe.
²_ Bref, les Monts d’Or étant aux mains des orcs et des gobelins, des ogres sont venus. Ils ont dans leurs rangs des mages qui ont dû faciliter le passage des démons. Voilà.
²_ Mais tout à l’heure tu as dit que des créatures sortaient du portail et attaquaient les nains. Pourquoi donc des ogre-mages ont dû venir pour faciliter le passage des démons ?
²_ Le portail donne sur l’enfer où vivent les démons. Mais ces derniers n’y sont pas seuls. Les autres créatures qui y vivent traversent aisément un tel portail, par contre, pour un démon, c’est une toute autre histoire. Voilà pourquoi les ogre-mages sont venu.
²_ Mais pourquoi les nains ont-ils accusés les elfes ?
²_ Vous voyez un nain trahir son propre peuple et le mener pratiquement à sa destruction ? Et puis, lors de la dernière bataille des Monts d’Or, un elfe a été vu dans les rangs ennemis ; et il se battait avec eux, et non contre eux.
²_ Aucun elfe ne s’allierait à des orcs ou des gobelins.
²_ Et les elfes noirs, tu les as oubliés ?
²_ Aurais-tu oublié, Bramak, que les Drows vivent dans les profondeurs de la terre. Et puis un dow ne se serait pas allié avec eux, il serait devenu leur chef. C’est donc impossible.
²_ Mon père y était et l’a vu de ses propres yeux ; le traiterais-tu de menteur, elfe ? Car si c’est le cas, ma hache t’attend. Et je jure sur son âme que je te fendrai le crâne.
²_ Non, je ne dis pas que ton père a menti.
²_ Alors tu admets qu’il y avait bien un elfe parmi nos ennemis.
²_ Non.
²_ Je ne te comprends plus là.
²_ Si, chose impossible mais imaginons-le, un elfe s’était allié avec les ennemis, il ne se serait pas montré.
²_ Et pourtant, mon père a bien vu un elfe ce jour-là. Il ne peut vous raconter son histoire maintenant car il a péri lors de la Grande Purge.
²_ Tu sais Bramak, intervient Fabbia, l’œil ne voit que la surface des choses ; la magie peut montrer beaucoup de choses sans qu’elles soient forcément réelles.
²_ Et tu veux me faire croire Élu qu’un sorcier aurait créé l’image d’un elfe dans les rangs ennemis ? C’est absurde !
²_ Peu de sorciers en sont capables, mais oui ; c’est une possibilité.
²_ Les elfes nous ont déjà fait part de cette ridicule théorie ; personne de mon peuple n’y croit !²
Sous mes yeux ébahis, je vois la jeune femme changer de forme jusqu’à devenir un nain légèrement plus grand que Bramak. Au bout de quelques secondes, elle reprend sa forme normale. Break les yeux grands ouverts et aucun son ne sort de sa gorge.
²_ Tu vois. Je pourrais maintenir cette forme si je le désirais, mais cela m’épuiserait rapidement.
²_ Mais comment as-tu pu savoir à quoi ressemblait mon père ? Il est mort il y a presque 500 ans alors que tu n’en as pas encore 30.
²_ Lorsque tu t’es énervé Bramak, tu as projeté l’image de ton père au milieu de notre groupe. Personne n’a pu le voir sauf Lumiel et moi-même.
²_ Et Sorthérus, ajoutais-je.
²_ Et comment une épée pourrait voir quoi que ce soit ?
²_ Je ne sais pas, mais elle l’a vu ; j’en suis sûr. Plus le temps passe, et plus je sens ses pouvoirs augmenter.
²_ De toute façon, pourquoi un sorcier aurait-il fait ça ?
²_ Pour rompre l’alliance entre nos deux peuples Bramak.
²_ Ça ne tient pas debout ton histoire Golorel.
²_ Je crois que pour l’instant ça suffit ; on a tous besoin de repos. On va donc s’arrêter ici pour passer la nuit.²
Personne n’ose contredire Faroma, et on est vite installé ; mais nul feu de camp ne nous réchauffe cette nuit car il est maintenant trop dangereux d’en faire un. On se rapproche tous les uns des autres pour se réchauffer pendant la nuit tandis que Namië prend le premier tour de garde.

Je m’avance dans la caverne. J’ai une arme en main, mais cette arme c’est Gunthar et non Sorthérus. Je passe le seuil de la porte de pierre et m’avance dans cette salle grandiose. J’arrive devant un trône d’or sur lequel est assis un immense démon. De son bras, il m’invite à regarder à droite ; mes compagnons de route sont là, attachés et torturés. Un bruit de pas puis une main sur mon épaule me font me retourner. Marie me regarde et je vois une paix profonde au fond de ses yeux.
²_ Mon amour, ne perd jamais confiance ; il y a toujours de l’espoir, même dans les moments les plus noirs.
²_ Marie ? Comment est-ce possible ?
²_ Beaucoup de choses sont possibles. Ne perd pas espoir et écoute ton cœur.²
Elle se retourne et commence à partir.
²_ Non, reste ! Ne t’en vas pas ! J’ai besoin de toi !²
A ce moment là, un terrible rugissement de haine me fait me retourner. Je vois le démon se jeter sur moi et je ne peux bouger car la peur me paralyse.

Je me réveille en sursaut secoué par une Fabbia inquiète. D’ailleurs, tout le monde me regarde avec inquiétude.
²_ Tu as hurlé dans ton sommeil et tu nous as réveillés. Tu nous as fait peur.
²_ Ça va ? me demande Faroma.
²_ Oui, ça va.
²_ C’est encore ce cauchemar ?
²_ Oui Fabbia, mais il y a un changement. Quelle heure est-il ?
²_ Bientôt l’heure de partir, apparemment ; Namië n’a réveillé personne.
²_ Elle a déjà veillé toute la nuit dernière sans me réveiller ; elle a besoin de se reposer.
²_ On dirait que tout va bien pour elle.²
Et, lorsque mon regard se pose sur elle, je la vois aussi fraîche et en forme qu’après une bonne nuit de sommeil à l’hôtel. Décidément, les elfes sont des êtres étranges. Moi, en revanche, je me sens encore plus fatigué que la veille. Cette nuit ne m’a apporté aucun repos. Nous reprenons notre route et, dans l’après-midi, notre ascension commence. Bramah pris la tête de la colonne car on doit maintenant pénétrer dans le cœur de l’ancien royaume des nains. Dans la soirée, nous découvrons une petite caverne assez profonde pour nous abriter. On s’installe donc le plus confortablement possible sans s’inquiéter des traces laissées : la neige qui s’est mise à tomber il y a quelques heures les recouvre rapidement. Au fur et à mesure que le temps passe, le froid devient de plus en plus mordant. Il fait maintenant tellement froid que les couvertures et la chaleur corporelle ne suffisent pas à nous réchauffer. Ce froid n’est pas naturel. Même Lumiel et Golorel frissonnent ! Seule Namië ne semble pas affectée.

²_ Écoute Faroma, je sais que tu ne veux pas faire de feu pour éviter que l’on se fasse repérer ; mais là, si on ne fait rien, on va tous mourir.
²_ Je suis d’accord avec toi Ça²
Au bout de quelques minutes, un petit tas de bois est formé et le nain s’efforce de l’allumer.
²_ Alors maître nain, montrez-nous votre talent ! dit Écoute en me lançant un sourire en coin.
²_ Laisse-moi le temps de l’allumer ce feu.
²_ Le temps qu’une braise apparaisse, on sera tous déjà congelé.
²_ Parce que, monseigneur elfe, tu penses faire mieux que moi ?
²_ Je te croyais capable d’allumer un feu n’importe où n’importe quand.
²_ Oui mais là c’est impossible, le bois est détrempé.
²_ « S’il le fallait, je pourrais allumer un feu avec du bois humide ». Ne serait-ce pas les paroles d’un certain nain ?
²_ Ne te moque pas de moi Écoute Là, ce bois n’est pas humide ; il aurait été ramassé au fond d’un lac qu’il serait plus sec ! On ne peut rien faire avec ça !²
Une grande flamme couleur émeraude apparaît tout d’un coup et Ça fait un bond en arrière. Je me retourne et vois Fabbia un sourire sur les lèvres ; elle me fait un clin d’oeil complice.
²_ Lumiel ! Fabbia ! Laquelle de vous deux est responsable de ça ?²
A ce moment là, tout le monde éclate de rire ; il est vrai que la vue de ce nain, assis à une distance respectueuse du feu magique et rouge de colère est assez comique.
²_ C’est moi Bramak.
²_ Eh bien, tu devrais faire plus attention sorcière ; tu as presque mis le feu à ma barbe.
²_ Je suis désolée Bramak, mais on avait rapidement besoin d’un feu.²

De nouveau, je suis dans cette caverne. J’avance, Gunthar au poing. Encore cette immense et magnifique salle et le trône d’or avec le démon. Mes amis sont torturés. Une main sur mon épaule, Marie face à moi.
²_ Aies confiance. Il y a plus en toi que tu ne le crois. Ne laisse pas ce démon posséder tes rêves, ils n’appartiennent qu’à toi.
²_ Ne t’en vas pas Marie, je t’en prie ! J’ai besoin de toi.
²_ Non, tu n’as plus besoin de moi. Mais sache que je serais toujours là, même si tu ne me vois pas. Tant que tu ne m’oublies pas, je serais là.
²_ Je ne pourrais jamais t’oublier !
²_ Mais ne t’enferme pas dans la solitude des souvenirs. La vie continue pour toi. Écoute ton cœur. Il faut que je parte maintenant.²
Elle commence à s’éloigner et un rugissement haineux me fait me retourner : le démon se jette sur moi toutes griffes dehors. Je suis tétanisé par la peur. Au moment où le démon s’apprête à me mettre en pièce, une lumière blanche m’entoure et Marie apparaît entre moi et le monstre.
²_ Démon, cet homme est libre et tu n’as plus aucune emprise sur lui.
²_ Tu n’as pas le pouvoir de le libérer, esprit.
²_ Je ne suis pas un esprit, je suis un ange envoyé par Mynard. La lumière blanche s’intensifie et va englober le démon. Je ne vois plus rien mais j’entends ses cris de rage. Et, après quelques instants, le silence. La lumière a disparu, ainsi que le démon et tout le reste. J’entends la voix de Marie dans ma tête :
²_ Tu es maintenant libre mon amour. Au revoir.²

Je me lève au petit matin, surpris que personne ne m’ait réveillé.
²_ Tu dormais tellement paisiblement que l’on ne t’a pas réveillé ; après toutes ces nuits mouvementées, tu avais besoin de repos, m’explique Fabbia.²
Et, effectivement, je me sens aussi reposé que si j’avais passé une bonne nuit de sommeil dans un lit bien au chaud. A vrai dire, cela fait des années que je ne me suis pas senti aussi bien. Même le temps aujourd’hui est agréable : le soleil brille haut dans un ciel sans nuage. Et, malgré la neige tombée la veille et pendant la nuit, c’est une belle journée en perspective. Nous reprenons la route avec le même entrain que le jour de notre départ. En milieu d’après-midi, Bramak nous fait entrer dans une caverne ; selon lui, c’est une des entrées secrètes dans le royaume des Monts d’Or et c’est par là qu’on a le moins de risques de rencontrer des ennemis. Au fond de la caverne, un tunnel s’enfonce dans le cœur de la montagne. Je rejoins Bramak pour éclairer le chemin avec Sorthérus bien que le nain n’en ait pas besoin ; comme tous ceux de sa race, ainsi que les elfes, il est nyctalope. A l’arrière, Lumiel a créé une boule de feu qui brûle dans sa main et éclaire le chemin pour Faroma et Fabbia. Le tunnel semble naturel et non taillé par les mains expertes des nains. Et, à ma grande surprise, il se termine en cul-de-sac. Bramak prononce un mot dans la langue gutturale des nains et un pan de roche se déplace révélant un tunnel rectiligne.

²_ Eh bien, Bramak, les nains n’ont pas fini de me surprendre. Jamais je n’aurais deviné qu’il y avait une porte ici.
²_ Vous savez, Élu, même un nain ne peut trouver une porte dans la pierre s’il ne sait pas où chercher. C’est pour ça que je doute que nos ennemis soient au courant de l’existence de cette sortie. Pour eux, c’est très certainement un tunnel inachevé. Mais ce tunnel, tout comme d’autres, a sauvé la vie de nombreux nains lors de notre fuite.²
On continue à avancer et maintenant de nombreuses ouvertures marquent les entrées d’autant de tunnels. Élu nous dirige à travers ces différents tunnels. Je ne sais pas comment il fait pour trouver son chemin dans ce labyrinthe : en ce qui me concerne, je suis totalement désorienté. Je serais incapable de nous ramener à la porte secrète. Je comprends maintenant comment les nains ont pu s’enfuir aussi facilement : semer des poursuivants dans ce labyrinthe ne doit pas être difficile pour eux. Élu nous informe que même s’il garde la direction de la salle du trône, il nous fait passer par les tunnels les plus éloignés pour limiter le risque de croiser des patrouilles ennemies. Au bout de plusieurs heures de marche, on s’arrête dans une petite salle pour se reposer. Selon le nain, il s’agissait avant d’un petit entrepôt ; ce soir, ce sera un dortoir. Après s’être rapidement restauré, tout le monde part se reposer tandis que je prends le premier tour de garde. Je m’assieds dans la pénombre Sorthérus posée sur mes genoux prête à fendre le crâne de mes ennemis. Sa puissance a encore augmenté ; je sens les vibrations qu’elle émet me traverser. Dorénavant, quasiment rien ne peut lui résister ; elle a atteint tout son potentiel et ses pouvoirs sont immenses. Avec elle à ma taille, le roi démon ne me fait plus peur.

²_ Et tu as raison, il sera facile à éliminer.²
Fabbia se lève et vient s’asseoir à côté de moi.
²_ Je n’arrive pas à dormir ; ça ne te dérange pas si je reste avec toi ?
²_ Bien sûr que non.
²_ Ça l’air d’aller mieux pour toi en ce moment.
²_ Oui, en effet. Dis moi Fabbia, c’est qui Maynard ?
²_ Mynard est une déesse de la création. C’est elle qui s’est occupée de créer les êtres vivants sur les différents mondes. Lorsqu’un être bon meurt, il rejoint Mynard dans son royaume et devient un Ange. Si jamais Carna la Verte était attaquée un jour, les Anges de Mynard la défendraient côte à côte avec les armées de Rushyak, le dieu de la guerre. Pourquoi est-ce que tu me demandes ça ?
²_ Tu te souviens de la femme que j’ai aimée et dont je t’ai parlée ?
²_ Marie ?
²_ Oui. Ce cauchemar que je fais tout le temps, il a apparemment disparu. Les deux dernières fois que je l’ai fait, Marie y est apparue. Et dans le dernier, le démon s’est jeté sur moi pour me tuer mais Marie s’est interposée ; quand le démon lui a dit qu’elle n’avait pas le pouvoir de me protéger, elle a répondu que si. Elle a dit qu’elle était envoyée par Mynard. Après ça, il y a eu une lumière blanche et puis le démon et tout le reste a disparu.

²_ On dirait que tu as ton ange gardien personnel.
²_ En effet, oui.
²_ A mon avis, tu n’as plus à t’inquiéter pour ton sommeil. De plus, ça prouve que tous les dieux n’ont pas abandonnés votre monde ; Mynard est avec vous. C’est étrange que deux dieux aussi opposés que Yahvé et Mynard soit restés pour vous. Mais bon, qui peut dire quelle est la volonté des dieux ?²
Un léger frottement suivi d’un petit trottinement parvient d’une des entrées de la salle. Ma main se porte aussitôt sur la garde de Sorthérus ; au moment où je vais me lever pour éliminer la créature, la main de Fabbia se pose sur mon bras. Je l’entends murmurer une incantation, je n’interviens donc pas. La créature allume une torche pour mieux y voir ; au moment où je m’apprête à lui bondir dessus, la main de Fabbia posée sur mon bras m’empêche d’intervenir. Le regard scrutateur du petit être se promène dans la salle mais, à ma grande surprise, il n’a aucune réaction quant à notre présence. Puis je comprends : le sortilège de Fabbia doit nous cacher à ses yeux. Après ce qui me parut durer une éternité, la petite créature repart par là où elle est arrivée.

²_ C’était quoi ça ?
²_ Un gobelin des cavernes, répond Faroma.² Et, à ma grande surprise, je vois tout le monde se lever.
²_ Je croyais que vous dormiez…
²_ C’était le cas, jusqu’à ce qu’il allume sa torche. En entendant Fabbia intenter on a su qu’elle nous cachait ; on n’a donc pas bougé.
²_ Mais Fabbia, pourquoi m’avoir empêché de le tuer ?
²_ Les gobelins des cavernes sont les éclaireurs des orcs. Une patrouille est dans le coin, il ne fallait pas qu’elle soit prévenue de notre présence.
²_ S’il était mort, il n’aurait jamais pu prévenir qui que ce soit. Je l’aurais tué avant même qu’il se rende compte de notre présence.
²_ Et, son éclaireur ne rentrant pas, la patrouille aurait su qu’il y a quelque chose d’inhabituel dans le coin.
²_ Je vois ; je n’y avais pas pensé.
²_ Chut ! nous coupe Namië. Vous entendez ?
²_ De quoi ?
²_ Oui, je l’entends moi aussi réponds Golorel.
²_ Et moi aussi répond Lumiel.
²_ Quoi donc ?
²_ Une patrouille orc se dirige vers nous ; les pierres hurlent leur avertissement, réponds Bramak.
²_ Vite ! Tous dans le coin le plus sombre ! Lumiel, soutien mon sort de camouflage s’il te plaît ! Avec de la chance, Ils passeront sans nous voir.²

Cachés dans la pénombre, nous attendons ; je n’ose pas faire le moindre mouvement de peur de faire du bruit. Quelques instants plus tard, des bruits de pas, de grognements et de ferrailles me parviennent ; ensuite, une faible lueur apparaît par une des entrées. La patrouille se dirige vers notre salle, cela ne fait aucun doute. Mais, au moment où on aurait pu s’attendre à voir apparaître les premiers orcs, la troupe semble s’être arrêtée. Je regarde d’un air interrogateur mes compagnons ; seul Faroma me répond par un haussement d’épaules, m’indiquant ainsi qu’il ne sait pas plus que moi ce qu’il se passe. Puis, tout d’un coup, une horrible voix s’élève.
²_ Graktor, viens ici !
²_ Qu’est-ce qu’il y a capitaine ?
²_ Quand tu es revenu, tu nous a dit qu’il n’y avait personne ici.
²_ Et c’est le cas capitaine.
²_ Alors pourquoi Bahrou ressent quelque chose d’étrange ?
²_ Ce sorcier n’y connaît rien ! La seule chose d’étrange que je sente ici moi, c’est l’odeur de ses pieds ! Je suis venu ici, j’ai allumé une torche, et il n’y avait rien ; pas la moindre trace.
²_ Tu sembles oublier, pauvre petite larve, qu’il y a deux sorcières dans leur groupe.
²_ Capitaine, vous allez pas laisser cet ogre me parler comme ça !
²_ Ça dépendra de qui à raison.
²_ De toute façon, s’il y avait eu quelque un ils m’auraient tué.
²_ S’il y a quelque un tu regretteras qu’ils ne t’aient pas tué.
²_ Bahrou, comment juges-tu la situation ?² L’ogre répond quelque chose que je ne peux comprendre.
²_ Tu as mon accord ogre-mage.²

A ce moment là, Fabbia et Lumiel s’effondrent en hurlant, la tête entre les mains. Puis des orcs apparaissent dans l’encadrement de la porte. Mes compagnons passent à l’attaque tandis que les deux jeunes femmes restent étendues sur le sol à se tordre de douleur.
²_ Fabbia, qu’est-ce qui se passe ?
²_ L’ogre-mage…il faut le tuer…
²_ Faroma, il faut éliminer l’ogre-mage au plus vite !
²_ Bien, je m’en occupe !²
Sur ce, je me lance dans la bataille, Sorthérus au poing et la rage au cœur de voir mes deux amies souffrir ainsi. J’avance dans les rangs adversaires en me dirigeant vers Faroma pour l’aider quand un orc de grande stature se met en travers de mon chemin. Son corps particulièrement musclé est couvert de cicatrices, ce qui n’est pas pour me rassurer.
²_ Enfin un combat intéressant ; lui c’est autre chose que ces braillards d’orcs qui veulent s’enfuir dès qu’ils me voient.
²_ C’est pas le moment de se réjouir Sorthérus !
²_ Je vois, humain, que tu détiens l’épée-démon. Tu va regretter de ne pas être resté dans ton monde ; et mon maître me récompensera pour ta mort !²
Le combat s’engage et, effectivement, je me rends compte que cet adversaire est plus doué que les autres. Mais, après avoir reculé pour éviter un coup mortel, Sorthérus émet un rayon rouge qui s’en va le frapper en pleine poitrine ; le capitaine orc s’effondre, s’en ai finit de lui. Mon regard se pose sur Faroma qui vient d’éliminer l’ogre-mage. Les deux sorcières se relèvent alors lentement et prennent leurs armes pour se jeter dans la mêlée. Au bout de quelques instants, le combat s’achève ; aucun de nos ennemis ne s’en est sorti vivant. Mon premier réflexe est d’aller voir les sorcières.

²_ Vous allez bien ?
²_ On vivra ; mais cet ogre-mage a puisé dans nos réserves d’énergie tout en lançant une attaque mentale. Ce n’était pas un débutant, j’ai senti sa puissance quand il a absorbé la mienne. On va devoir attendre quelques heures avant de pouvoir à nouveau se servir de nos pouvoirs.
²_ Il ne faut pas rester ici, dit Faroma. Maintenant, on est repéré. Il faut partir au plus vite.²
Alors que le guerrier est en train de parler, une ombre se lève derrière lui ; le capitaine orc, que je croyais mort, est encore en vie. Rapide comme l’éclair, je m’élance et le décapite. Au moment où il s’effondre, Namië nous prévient qu’elle entend des ennemis se rapprocher au pas de course.

²_ Élu, prend Gunthar et laisse moi Sorthérus.
²_ De quoi ?
²_ Cet orc m’a blessé et si je viens avec vous je vous ralentirais.
²_ Et tu crois qu’on va te laisser seul face à eux ? Tu te trompes.
²_ Élu, tu ne peux rien pour moi cette fois-ci. Toi et Lumiel n’avez plus de pouvoirs pour l’instant. Et vous perdez un temps précieux à essayer de me convaincre.
²_ Ta sœur à raison Faroma, on ne peut pas te laisser seul ; en plus je ne peux me séparer de Sorthérus, et Gunthar est à toi.
²_ Sorthérus voudra bien. Je serais plus efficace en me battant avec elle qu’avec Gunthar. Et quand je serais débordé et qu’ils me tueront, Sorthérus reviendra toute seule à ton côté tandis que Gunthar n’a pas cette capacité ; et je ne veux pas qu’elle tombe entre leurs mains. Et puis, elle pourrait te sauver la vie un jour. Qui sait ?
²_ Tu sais qu’il a raison ; laisse-moi l’aider à ralentir vos ennemis. »
Je sais au fond de moi qu’ils ont raison, mais abandonner Faroma ne me plaît pas le moins du monde.
²_Dépêchez-vous, ils se rapprochent.²
Et, effectivement, je tends l’oreille et entends quelque chose au loin. Je prends son épée et lui tends la mienne, la mort dans l’âme.
²_ Vous pouvez partir, mais moi je ne le laisse pas ici seul.
²_ Élu, vous n’avez pas le temps. Il y a un roi démon à vaincre, et Élu a besoin d’un minimum d’aide. Tes pouvoirs lui seront utiles. Allez, maintenant partez !²

On passe tous le seuil de la deuxième entrée ; le silence pèse lourdement sur nos épaules mais personne ne prend la parole pendant notre fuite. Des larmes roulent silencieusement sur mes joues et les quelques reniflements de Élu m’indiquent qu’elle aussi elle pleure. Une boule s’est formée dans ma gorge ; j’ai envie de m’arrêter, de m’asseoir et de laisser les ténèbres m’envahir. J’ai envie de hurler dans ce silence ma peine et ma rage. Mais les paroles d’un être cher me reviennent à l’esprit : « Mon amour, ne perd jamais confiance ; il y a toujours de l’espoir, même dans les moments les plus noirs ». Marie a raison, il y a encore de l’espoir ; après tout, Sorthérus est extrêmement puissante et malgré sa blessure, Faroma peut encore s’en sortir.

Après ce qu’il me semble être une éternité, Bramak nous fait nous arrêter dans une salle estimant que le danger est suffisamment éloigné. On s’assied dans le noir dans le plus grand des silences. On attend tous avec anxiété d’avoir un signe pour savoir si Faro Ma survécu. Les secondes s’égrainent lentement, abominablement lentement. Au bout d’un temps que je trouve particulièrement long, Sorthérus apparaît à mes côtés ; j’ai l’impression que le monde s’est effondré autour de moi. Les larmes coulent à flot sur mon visage et le silence de mes compagnons ne me réconforte guère. Mes yeux se posent sur Fabbia : je lis la peine sur son visage. Les larmes suivent le même chemin sur ses joues et le long de son cou que les miennes sur mon visage. Nos regards se croisent, et immédiatement on se comprend ; on a tous les deux perdu un être cher. Maintenant, je me sens plus proche d’elle que de n’importe qui d’autre. Je me détourne de son visage marqué par la peine. Je suis las, assis à même le sol, dans le noir ; je veux tout abandonner. A quoi bon continuer ? Faroma, l’un des plus grands guerriers qui ait jamais existé, est mort. Comment moi, simple commercial français, puis-je espérer vaincre un roi démon ? Je n’ai aucune chance de réussir. Mon regard se pose sur mes compagnons. Tous me regardent et je vois dans le fond de leurs yeux une confiance totale. Je ne peux pas abandonner ma quête ; je ne peux pas leur faire ça. Et même si je ne le faisais pas pour eux, je le ferais pour Faroma. Mais je ne peux leur demander de me suivre.