Sorthérus

Ce soir, la lune brille de mille feux. Les étoiles parsèment la nuit de leur faible clarté. Le vent très léger arrive du sud. Je m'avance dans la clairière vers cet étrange bâtiment. La peur et l'angoisse habitent ces murs mais j'approche de plus en plus ; c'est plus fort que moi, je dois entrer dans cette tour. Je l'ai vue dans mes rêves et maintenant elle s'élève, trapue, face à moi. Tous les bâtiments alentours qui devaient former un village sont maintenant en ruine ; la tour elle-même n'est pas en très bon état. Des trous dans les murs laissent entrevoir de légères lueurs aux étages de l'édifice. Je pousse la porte de bois pourri ; elle grince en tournant sur ses gonds. Une ouverture béante et complètement noire s'ouvre sur ma droite. A ma gauche, une volée de marche grimpe vers le sommet de cette tour. J'allume ma lampe torche et, poussé par la curiosité, m'avance vers l'ouverture ténébreuse. Cette pièce ne révèle rien d'important : cela devait être une armurerie car des épées rouillées sont alignées à côte de hallebardes et d'épieux. Elle devait avoir une fonction de tour de garde et les chevaliers se servaient de ces armes là en cas de danger. Au moment de partir, mon regard est attiré par un reflet métallique brillant ; je m'approche, intrigué. Je vois sur le sol une épée en parfait état malgré les siècles qu'elle a dû passer ici. J'attrape la garde : je sens une douce chaleur passer dans tout mon corps au fur et à mesure que la lame se met à briller d'une lueur rougeoyante. J'entends alors une voix dans ma tête :

"_ Nous sommes liés à vie, mortel.
"_ Qui êtes-vous ?
"_ Qui je suis ? Je suis ta protection, je suis ta mort ; je suis le prolongement de ton bras ; je suis l'amour, je suis la haine ; je suis la joie, je suis la tristesse ; je suis le courage, je suis la couardise. A partir d'aujourd'hui, je suis à toi et tu es à moi. Je pendrais à ton côté jusqu'à ce que je boive ton sang. Je m'appelle Sorthérus."
Incrédule, je jette cette épée au loin ; elle réapparaît immédiatement dans ma main. Résigné, je quitte donc cette pièce. Avant de sortir, je cherche un fourreau pour mon épée.
"_ Regarde au fond à droite, me dit Sorthérus."
Et, effectivement, je trouve un magnifique fourreau en parfait état. Son extérieur est vert, il a le toucher du velours et des lanières dorées l'entourent de la pointe à la garde. L'épée rentre à la perfection dedans ; on pourrait les croire faits l'un pour l'autre.
"_ Mais ce fourreau a été fait pour moi, me susurre l'épée."
Je l'attache autour de ma taille et commence à gravir les marches de l'escalier. Elles aboutissent à l'encadrement d'une porte ; une bougie éclaire mal l'intérieur de cette pièce. A part la bougie, il n'y a rien dans cette salle. Je m'avance pour la traverser quand quelqu'un arrive du haut de la tour et entre par l'autre extrémité de la pièce, bouchant le passage. Me retournant pour partir en sens inverse, je m'aperçois qu'un mur de pierre s'élève à l'emplacement de la porte me coupant toute retraite. L'homme qui vient d'entrer tient une épée brillant d'un lugubre vert ; le fourreau est de velours rouge avec des lanières dorées l'entourant. Mais le plus étonnant est que cet homme est mon sosie ! Je dégaine mon épée qui pousse un cri de plaisir à l'idée du combat qui va avoir lieu.

"_ Bonjour, me dit ma réplique. Je suis ton passé et ta première épreuve. Tu m'as toujours rejeté, mais aujourd'hui tu n'as plus le choix : tu vas devoir m'affronter et m'accepter."
Et, sans même me laisser le temps de répondre, mon double se jette sur moi et m'attaque. Je n'ai que le temps de parer son coup avec mon épée ; une gerbe d'étincelles vertes et rouges s'élève dans les airs. Le combat continue pendant un petit moment mais je finis quand même par éliminer mon adversaire qui s'évanouit dans les airs. Je reprends donc mon ascension vers le haut de la tour. La pièce du deuxième étage n'est éclairée que par la lumière vacillante d'une torche. Une personne m'attend à l'intérieur ; elle tient dans sa main droite la même épée que Sorthérus. Le fourreau qui pend à son côté est de métal doré entouré par des lanières de velours vert. Je m'avance pour constater que cet homme est ma réplique exacte.

"_ Bonjour, me dit-il ; je suis ton avenir et ta seconde épreuve. Tu ne m'as jamais regardé, ni même pensé à moi ; tu as toujours vécu au jour le jour mais aujourd'hui tu dois me faire face."
Sur ces mots, mon double passe à l'attaque. Une fois encore, je réussis à vaincre mon adversaire. Je n'ai jamais manié l'épée, mais les parades que je dois employer me paraissent évidentes ; je dois avoir un don.
"_ Tu n'as pas de don, mais tu m'as moi..."
Avec prudence, je reprends mon ascension. J'arrive au troisième étage pour me retrouver nez à nez avec...la Mort. Je me frotte les yeux, mais non, je ne suis pas en train de rêver : la silhouette encapuchonnée et tenant une faux à la main est bien là, face à moi.
"_ Bienvenu, me dit-elle d'une voix sépulcrale. Je t'attendais.
"_ Vous êtes là pour moi ?
"_ Oui.
"_ Vous êtes venu me chercher ? Mais j'ai réussi mes deux épreuves.
"_ Effectivement ; moi je suis ta troisième et dernière épreuve. Si tu échoues, tu ne pourras aller plus haut car je t'emmènerai. Si tu réussi, tu seras libre de poursuivre ton chemin vers le sommet de la tour."
Résigné, je dégaine donc mon épée pour livrer un autre combat.
"_ Range ton arme, elle ne te servira à rien malgré sa magie. Je suis la Grande Faucheuse, la Dame Noire, l'Ange Noir ; je suis la Mort, et l'on ne peut tuer la Mort.
"_ Quelle est donc l'épreuve si ce n'est pas un combat ?
"_ Ce n'est pas un combat physique mais un combat de l'esprit. Trouve la réponse à cette énigme et tu seras libre ; mais attention, tu n'as droit qu'à une seule réponse et tu ne peux utiliser plus d'une minute pour la donner. Voici l'énigme : les plus pauvres l'ont, les plus riches en ont besoin, mais si les uns ou les autres le mangeaient, ils périraient à coup sûr ; qu'est-ce que c'est ?"
Plus le temps passe et moins j'arrive à réfléchir ; et ce n'est que dans les dernières secondes que la réponse me paraît évidente : rien.
"_ C'est rien, dis-je en tremblant alors que la voix sépulcrale annonçait une seconde restante."

Le spectre infernal disparaît pour me laisser continuer mon chemin. Je continue donc à gravir l'escalier. J'ouvre la porte qui se trouve au sommet des marches et m'avance, la main sur la garde de l'épée diabolique. A ma grande surprise, la pièce ne contient qu'un lit. Je fouille cette pièce de fond en comble sans trouver le moindre indice qui puisse m'expliquer le comment du pourquoi. Épuisé par tous mes efforts depuis que je suis entré dans cette tour infernale, je m'assois sur le bord du lit quelques instants avant de repartir. Mais, au moment de m'en aller, une fatigue soudaine s'empare de mon corps ; deux minutes plus tard, je suis profondément endormi.

Je me réveille dans un brouhaha considérable. Toutes sortes de bruits parviennent de l'extérieur de la tour. J'ai dû dormir longtemps, trop longtemps. Je me lève précipitamment et descends les escaliers quatre à quatre. Toutes les portes sont à nouveau grandes ouvertes. Quand je sors de la tour, qu'elle n'est pas ma surprise de constater que je ne suis plus dans la forêt de la veille : en effet, je me retrouve au centre d'un village occupé par la tour en ruine. La vieille forêt a disparu, remplacée par un village plein de vie. Mais le plus étrange, c'est qu'il n'y a pas que des humains ; non, on pourrait croire ce village tout droit sortit de l'imagination d'un auteur. Des elfes marchent à côté de nains, de guerriers ou de sorciers. Mais au fur et à mesure que je m'approche de cette foule, un silence se fait ; je suis le centre d'attraction et cette masse de gens m'entoure. Aucun d'entre eux n'est agressif, mais tous m'observent avec étonnement. Un murmure commence à passer parmi les badauds : "c'est l'Élu !" ou bien "ça y est, il est enfin arrivé". Ne comprenant pas ce qu'il se passe, je m'approche de quelqu'un pour lui parler mais à chacun de mes pas, tout le monde s'écarte avec respect pour me laisser passer ; quand je pose une question, personne ne me répond. Ce petit manège dure une dizaine de minutes quand un homme d'une stature plus qu'imposante se fraye un chemin dans la foule jusqu'à moi.

"_ Bonjour étranger, me dit-il. Je m'appelle Faroma, je suis le maire de ce village.
"_ Bonjour monsieur, je suis...
"_ L'Élu, d'après ce que j'ai entendu dire.
"_ L'Élu ?
"_ Oui, l'Élu. Mais viens, on sera mieux dans ma boutique pour discuter."
Sur ces mots, Faroma m'entraîne dans une forge.
"_ Bienvenu dans mon humble boutique. C'est ici que je travaille ; mais je n'ai pas toujours été forgeron, non. Avant j'étais aventurier et je vivais des fruits de mon épée. Chaque démon qui entendait mon nom tremblait de peur ; mais cette vie était devenue trop dangereuse. J'ai tué le prince d'une horde de démons qui mettait la région à sac, mais il m'avait mortellement blessé. J'ai été sauvé par ma soeur, une magicienne, alors que j'étais à l'article de la mort. J'ai donc décidé d'abandonner cette vie pour m'installer ici en tant que forgeron et, ma fois, je ne suis pas mécontent. La seule chose qui me manque, c'est l'action ; mais, depuis environ deux ans, j'aide les soldats à repousser le mal derrière la frontière. Tiens, me dit Faroma en attrapant une magnifique épée, regarde la ; elle m'a sauvé la vie un nombre incalculable de fois. C'est mon père qui l'a forgée pour moi quand il a su que je voulais partir à l'aventure : il y a déversé tous ses talents de forgeron et toute sa magie. C'était le meilleur de son époque. Elle a été forgée pour être plus particulièrement efficace dans l'élimination des démons ; elle s'appelle Gunthar. Même les forgerons elfes ou nains n'ont jamais réussi à atteindre cette qualité : cette lame n'a quasiment pas d'égal, sauf bien sûr Sorthérus. Mais aucune arme ne peut supporter la comparaison avec Sorthérus. Je peux la voir ?"

C'est avec fierté que je dégaine mon épée et la lui montre.
"- Elle est vraiment parfaite, une véritable oeuvre d'art.
"_ Mais qu'est-elle ?
"_ Qu'est-elle, ou qui est-elle ?
"_ Qui est-elle ?
"_ Oui, qui est-elle ? Sorthérus est un démon. Une jeune aventurière du nom de Priscillia l'a combattu, mais elle ne pouvait le tuer ; elle a donc forgé cette épée et, lors du coup de grâce, un tourbillon s'est formé autour du démon. Son enveloppe corporelle a été détruite et Priscillia en a profité pour enfermer son esprit affaiblit dans l'épée. Elle était le meilleur forgeron de son époque, d'ailleurs son talent est encore inégalé, elle était aussi une excellente guerrière mais surtout l'une des plus puissantes magiciennes qui n’aient jamais existées. Seulement, elle n'avait pas prévu une chose : Sorthérus étant un prince des démons, il était lui aussi un sorcier extrêmement puissant. Avant d'être enfermé, il réussit à lancer un dernier sortilège : l'épée serait liée au héros jusqu'à sa mort. Priscillia fut donc prise au piège par le démon et ne put jamais s'en débarrasser. L'épée a croisé le chemin de nombreux héros ; si jamais celui-ci n'était pas assez fort, l'épée prenait possession de lui. Il entrait dans une folie meurtrière et finissait toujours par être tué ; ensuite, l'épée disparaissait mystérieusement jusqu'à ce qu'elle prenne au piège un autre héros. La victoire de Priscillia n'était donc qu'une demie victoire.

"_ Mais comment savoir si je suis assez fort ?
"_ Tu as résisté aux épreuves, tu es donc assez fort.
"_ Mais qu'est-ce que c'est que ce monde ? Et moi, je ne suis pas un héros ; pourquoi donc ai-je cette épée ?
"_ C'est Sorthérus qui choisit ses propriétaires. Quant à ce monde, je peux t'expliquer. A l'origine, cinq mondes différents existaient ; on pouvait circuler librement entre les mondes par des portes. Mais trois de ces mondes furent détruits par des cataclysmes et les portes furent perdues à l'exception d'une seule, terriblement endommagée ; cette porte, c'est la tour d'où tu es arrivé. Ton monde est le deuxième monde à avoir été épargné. Mais comme tu ne sembles pas au courant, c'est que dans ton monde tout a été oublié. Ainsi, l'Oracle avait dit vrai : la porte étant bloquée, vous avez préféré tout oublier.
"_ Mais si la porte est fermée, comment ai-je pu passer ?
"_ L'oracle avait prévu que la porte se fermerait, que la seule race restante dans l'autre monde serait les humains ; il avait aussi prévu que le Mal reviendrait chez nous et qu'un héros venant de l'autre monde nous libérerait. Tu viens effectivement de l'autre monde et, qui plus est, Sorthérus t'a choisit : tu es celui que nous attendions.

"_ Quel est donc ce mal dont tu parles ?
"_ Une Horde de démons s'est emparé du royaume voisin et a réduit toute sa population en esclavage. Pour l'instant, elle ne fait que quelques brèves incursions dans notre pays mais, dès qu'elle sera prête, ce sera notre tour ; et, d'après l'Oracle, c'est bientôt. Il va falloir que tu affrontes le roi de la horde car tu es le seul à pouvoir le vaincre. Je vais à nouveau partir sur les routes.
"_ Le roi de la horde ? Tu n'avais pas parlé de prince avant ?
"_ Si, mais cette horde est plus terrible que les précédentes. Une horde est menée par le démon le plus fort ; quand il est jeune, il est terrible mais il n'a pas encore atteint toute sa puissance. Plus le temps passe, plus il devient fort ; à la fin, il est le roi de la horde. Jusqu'à présent, ça n'était jamais arrivé car le prince était systématiquement tué. Lui, il est particulièrement puissant ; c'est le premier roi-démon.
"_ Et qu'as-tu voulu dire par "je vais à nouveau partir sur les routes" ?
"_ Je vais venir avec toi dans le repaire de la horde et je t'aiderais du mieux que je pourrais. Il y aura certainement d'autres compagnons de voyage avec nous. Mais c'est ton destin que d'affronter Barkor. Si tu échoues, personne ne pourra plus rien faire et la horde régnera sur notre monde jusqu'à ce qu'elle trouve un moyen pour ouvrir la porte et envahir le tien. Tu es le seul à pouvoir la stopper ; tu tiens le sort de nos deux mondes dans tes mains.
"_ Mais je ne me suis jamais battu, à part lors des épreuves. Je ne sais pas ce que je dois faire, ni comment je dois le faire.
"_ Ne t'inquiète pas ; Sorthérus, moi même et certainement d'autres personnes t'aiderons dans ta tâche et quand tu seras face à Barkor, tu sauras quoi faire. Allez viens, suis moi."

Nous sortons de son atelier et nous dirigeons vers l’unique auberge du village : le Gnome Rouge. Il faut que je prenne un peu de repos et qu’on laisse le temps à certains aventuriers d’arriver au village pour se joindre à moi dans ma quête. Je passe une semaine tranquille ; la seule chose que j’ai à faire, c’est répondre aux questions des curieux et montrer mon épée aux soldats ébahis. Ce petit repos me permet de faire la connaissance du gros de la population de Finchester ; parmi les gens les plus importants, il y a, bien entendu, Faroma. Il y a aussi Slaton, l’aubergiste ; c’est un vieux gnome grincheux mais qui a un cœur d’or. Au début, il est bourru avec les étrangers mais une fois qu’il nous a accepté, en général après avoir acheté de nombreuses pintes, c’est une personne extrêmement sympathique. Il y a également le jovial Reinmar, un homme d’une cinquantaine d’années. Il est toujours prêt à rire, boire et manger ; c’est l’unique employé de Slaton. Il y a aussi la belle Namië, une elfe ; il ne faut pas se tromper sur son air chétif car c’est elle qui, avec Faroma, s’occupe de la sécurité de la population de Finchester. Plus d’un se sont faits maîtriser par la belle guerrière après avoir fait du grabuge ; ils ont tous dû payer une amende puis se sont faits renvoyer du village, se sentant humiliés et vexés d’avoir été vaincus par une femme elfe, bien qu’il n’y ait aucune honte à avoir de perdre un combat face à Namië. Ceux-ci sont les gens les plus importants de Finchester, les autres étant de simples fermiers ou des gens de passage.

Quelqu’un entre dans ma chambre, c’est Faroma.
²_ C’est bon, le groupe peut être formé ; viens.²
On descend sur la place publique où tout le monde est réunit autour d’une estrade. Faroma m’entraîne à travers la foule et nous nous installons au centre de cette estrade.
²_ Mes chers amis, commence Faroma, Le moment est venu. L’Élu est arrivé et il doit aller combattre le mal. Je vais l’aider dans sa quête ; qui va nous accompagner ?
²_ Moi, dit une voix féminine.
²_ Non Namië ; toi, tu dois rester à Finchester pour assurer la sécurité pendant mon absence. N’oublie pas que ce village se situe sur la frontière. Même si ton habileté au combat nous serait utile, elle est plus importante ici.
²_ Je viens avec vous, dit un guerrier nain en s’avançant. Ma hache Razborûk, le Fléau des Orcs, vous sera bien utile.
²_ Nous venons aussi, disent en chœur deux elfes. Mon arc et la magie de ma sœur vous serviront au moins autant que Razborûk.
²_Et moi, je ne te laisse plus partir seul à l’aventure Faroma ; la dernière fois, cela t’a presque été fatal.²
Le sursaut de Faroma au son de cette voix m’indique qu’il ne s’attendait pas à voir cette personne ici. La femme qui a prononcé ces paroles rejoint le reste de notre groupe et, d’après la description qu’il m’en avait faite, je la reconnais comme étant sa sœur.
²_ Qu’il en soit ainsi. Nous cinq, dit Faroma en se tournant vers moi, jurons de te protéger par notre vie ou notre mort. Nous partirons demain dès le lever du jour.²
Nous passons le reste de la journée à préparer le matériel nécessaire.

Le soir nous trouve attablés chez Slaton. A ma gauche est assis Faroma. C’est un guerrier impressionnant : il mesure à peu près 2m10 et doit peser dans les 100kg de muscle. Il m’a fait une démonstration à l’épée et, même avec Sorthérus, je n’aimerais pas avoir à me battre contre ce colosse d’une force monumentale. A ma droite est assise Fabbia, la sœur de Faroma. C’est une femme d’une trentaine d’années bâtie pour manier l’épée mais qui a choisit le Grand Art. A l’occasion, elle manie une courte dague, bien qu’elle n’excelle pas dans ce genre de combat. Par contre, c’est une magicienne extrêmement puissante et redoutée par tous les êtres mauvais. Cependant, elle reste une très belle femme : ses long cheveux noirs descendent en une natte jusqu’au bas de son dos et, lorsqu’ils sont détachés, ils forment une véritable cascade. Sa peau est superbement bronzée, ce qui lui donne de magnifiques reflets dorés ; ses yeux, quant à eux, sont d’un merveilleux vert émeraude. Je n’ai jamais vu de femme aussi belle dans ma vie, pas même Namië. Elle pourrait paraître brutale, et même méchante, mais quand on regarde son visage, on voit une sagesse et une gentillesse encore plus grandes, si cela est possible, que celles de Faroma. Puis, de l’autre côté de la table, il y a Bramak le nain. Sa longue barbe est séparée en deux tresses qui viennent se coincer dans sa ceinture en cuir incrustée de pépites d’or et de pierres précieuses. Il est trapu, massif et semble aussi solide qu ‘un chêne. A côté de lui sont assis Golorel et Lumiel, le frère et la sœur elfes. Golorel est, même parmi les elfes, un excellent archer ; ses flèches, tirées avec l’arc d’argent Ghillion, atteignent toujours leur cible. Au corps à corps, il utilise deux poignards elfiques à la perfection ; c’est un guerrier redoutable, à la vue et l’ouïe perçante des elfes, ce qui en fait un formidable éclaireur. Lumiel, sa sœur, lui ressemble énormément ; elle est l’opposée de Fabbia. Sa peau est blanche et ses cheveux sont une cascade d’or ; ses yeux de saphir expriment la gaieté, la sagesse et l’intemporalité de son peuple. Elle semble assez fragile, même si elle manie parfaitement sa dague. Cependant, sa force réside dans les pouvoirs de la nature qu’elle a appris à maîtriser dès son plus jeune âge. En plus de la nature, les quatre éléments lui obéissent. Elle et Golorel sont aussi de merveilleux bardes, et l’enchantement de leurs voix n’a d’égal que la beauté de leurs chants. Si Bramak représente le chêne, eux sont le roseau ; telle est l’opposition des nains et des elfes. La table se complète de Slaton et Reinmar qui ont délaissés leurs clients pour se joindre à nous.

²_ Alors, m’interroge Bramak ; parlez-nous un peu de votre monde. Comment est-il ? Ce que je veux dire, c’est qu’elle est l’arme préférée des humains ? L’épée ? La hache ? L’arc ? La magie ? Comment avez-vous évolués seuls ? Car je sais qu’il ne reste que des humains dans votre monde.
²_ Nous avons mal évolués Bramak. Dans mon monde, la magie n’existe plus ; tout le monde l’a oubliée. Quant aux armes, celles que tu viens de citer ne sont plus utilisées que pour les loisirs. Nous, on utilise les armes à feu : les fusils, les avions, les bombes… C’est le chaos, nous nous massacrons entre nous.
²_ Mais alors, me demande Golorel, que sont devenus les nobles rois et chevaliers humains ?
²_ Ils ont disparus.
²_ Alors vous êtes tombés bien bas, affirme Bramak.
²_ Je me souviens de votre monde, dit Lumiel. J’y suis déjà allée ; je me rappelle les forêts, les animaux. Il y avait de grands espaces sauvages où l’on pouvait se retirer pour méditer et se ressourcer. Que sont-ils devenus ?
²_ Tout ça n’existe presque plus. L’industrie est arrivée et a détruit les immenses forêts ; tout n’est plus que blocs de béton et asphalte. L’humanité est en train de grignoter le peu de nature qu’il lui reste ; l’univers est devenu le nouvel objet de conquête. S’il faut rouvrir la porte pour rentrer chez moi, je préfère rester ici car la folie s’est emparée de nos dirigeants ; ils massacreraient tout ce qui n’est pas humain et détruiraient ce monde aussi. Voyez-vous, les gens ne comprendraient pas : vous êtes différents et les humains de mon monde ont peur de ce qu’ils ne comprennent pas et de ce qui est différent.

²_ Ces nouvelles sont vraiment très tristes, dit Golorel. Je ne pensais pas qu’une telle déchéance pouvait tomber sur des humains.
²_ Mais dans toute cette peine et ces ténèbres, réjouissez-vous mes amis car j’entrevois une lueur d’espoir, dit Lumiel. Il ne faut pas désespérer car l’Élu arrive de ce monde ; il doit donc y en avoir d’autres comme lui.
²_ Mais qu’est-ce que c’est donc que ces bombes, ces avions et ces fusils ?
²_ Des armes de destruction massive, Bramak. Une seule bombe peut tuer des milliers de personnes pendant des années. C’est l’horreur à l’état pur.
²_ Bon, dit alors Faroma. Je crois qu’il est temps d’aller se reposer car on part tôt demain matin. On se retrouve ici à 6h00. Bonne nuit.²

Le soleil n’est pas encore levé que notre petite troupe se met en route. C’est Faroma qui, suivi de sa sœur, ouvre la marche ; moi je marche derrière Fabbia et viennent ensuite Bramak, Lumiel et Golorel. Cette journée d’été promet d’être belle et chaude. Quand arrive midi, nous nous arrêtons enfin ; je suis exténué, mais les autres semblent en pleine forme. Je me laisse tomber plus que je ne m’assieds par terre, retirant avec soulagement mes bottes et détachant Sorthérus de ma taille meurtrie.
²_ Ne t’en fais pas, me dit Faroma ; tu t’y feras. De plus, nous sommes encore relativement proches de la frontière et, par conséquent, nous ne risquons presque rien. Golorel, peux-tu nous attraper du gibier pour le repas ? Il faut éviter de toucher à nos réserves tant qu’on le peut.
²_ Je m’occupe d’allumer le feu, dit Bramak.
²_ Maître nain, on a ici deux sorcières ; je crois qu’elles iront plus vite que toi à la tâche, dit Faroma en me lançant un sourire complice.
²_ Plus vite que… Bah ! Tu n’es qu’un pauvre ignorant, Faroma ! Je suis un nain et je mets au défi quiconque d’allumer un feu plus vite que moi par des moyens naturels. Aller plus vite, ronchonne-t-il dans son coin ; comme si je ne savais pas allumer un feu. S’il le fallait, je pourrais allumer un feu avec du bois humide ! Retenez bien ça, Élu : nous, les nains, on peut allumer un feu n’importe où, n’importe quand.
²_ Viens, me dit Faroma ; je vais te donner des conseils sur ta façon de te battre. Avec Sorthérus, tu n’en as pas besoin car elle te guide ; seulement, si tu dois te battre sans elle, il te faudra un minimum d’apprentissage, cela pourrait te sauver la vie.²

Je dégaine Sorthérus et Faroma Gunthar : le combat commence mené par les directives lancées par le colosse et quelques conseils avisés donnés par le nain qui, après avoir allumé un feu avec succès et fierté, nous observe. Golorel revient peu de temps après avec la carcasse d’un cerf qu’il porte sur les épaules et commence à préparer le repas. Fabbia est plongée dans son recueil de sortilèges et Lumiel est introuvable. Quand je pose la question à Faroma, il me répond qu’elle doit être en train de se ressourcer dans les bois à proximité. Le déjeuner est rapide et frugal. Quand on repart, il est environ 14h00. On marche ainsi jusqu’à 22h00 ; on installe le camp pour passer la nuit. Cette journée s’est agréablement passée et, malgré les 84km parcourus, je suis moins fatigué que ce à quoi je m’attendais. Alors que l’on va tous se coucher pour essayer de se reposer, Faroma prend le premier tour de garde d’une heure. A 4h00 du matin, Lumiel me réveille pour que je prenne la relève. Je m’installe tout en gardant mon épée à portée de main. J’entends les respirations régulières de mes compagnons s’élever dans le silence nocturne. Cette nuit est la même que celle pendant laquelle j’ai traversé la porte ; une petite brise très douce souffle et le ciel est entièrement dégagé. Les minutes me semblent durer une éternité ; le temps passe très lentement. Tout à coup, j’entends quelque chose craquer. Mon oreille se tend tandis que je scrute la nuit. Je ne vois rien. Je dégaine Sorthérus qui, à ma demande, émet une faible lueur ; je fais le tour du camp sans rien voir de suspect. Je vais donc me rasseoir. La fin de mon tour de garde se passe sans incident. Je réveille Golorel pour qu’il me remplace ; avant d’aller me recoucher, je lui dis ce que j’ai entendu.

Faroma me réveille une demie heure avant notre départ. Je lui explique ce que j’ai entendu cette nuit. Avec Golorel, on vérifie les alentours du camp à la lumière du soleil. Je cherche quelques improbables traces lorsque j’entends la voix de l’elfe qui nous appelle. Je vais donc le voir. Quand j’arrive à ses côtés, il est déjà en train de montrer à Faroma une trace presque invisible sur le sol ; seuls des yeux d’elfes pouvaient la remarquer. Mes deux amis m’expliquent à tour de rôle que ce n’est pas un être mauvais qui a fait cette trace ; selon eux, c’est un elfe, chose vraiment surprenante, ou quelque chose d’autre : même Golorel n’est pas sûr. En tout cas, ce n’est ni un démon ni un orc. Ce dernier me fait aussi remarquer que je dois avoir une ouïe exceptionnellement fine pour un humain si j’ai pu entendre ça, mais qu’il est parfaitement normal que je n’aie rien vu. On repart donc tout en essayant de voir si l’être de cette nuit nous suit, mais personne ne remarque rien de particulier. Les régions que nous traversons deviennent de plus en plus torturées et désolées ; on peut sentir l’œuvre du mal. Cette nuit, c’est moi qui prends le premier tour de garde ; il ne se passe rien de particulier et je pars donc me coucher en laissant la garde à Faroma. Ce soir, des cauchemars troublent mon sommeil. Le lendemain est triste et gris ; c’est donc sous la pluie que nous reprenons notre route. Au milieu de l’après-midi, la monotonie du voyage est rompue : Golorel nous informe qu’il entend les bruits d’une bataille. Après avoir étudié les différentes empreintes, Faroma nous informe qu’une troupe d’orcs menée par un démon est passée par là en début d’après-midi. C’est certainement cette troupe qui est à l’origine de la bataille signalée par Golorel. D’un commun accord, nous pressons le pas pour prêter main forte aux ennemis de nos ennemis. Lorsque nous arrivons sur le champ de bataille, nous voyons des orcs encerclant les deux seuls chevaliers humains encore en vie et un sorcier elfe inconscient. Face à eux se trouvent une vingtaine d’orcs ; et, à leur tête, il y a une bête immonde que je suppose être un démon. Il mesure environ 3m, sa tête noire est un mélange de dragon et de tigre. Son affreux rictus découvre des dents jaunes encore plus terribles que celles d’un lion ; la lueur rouge de ses yeux montre une profonde intelligence mise au service du mal. Ses bras sont de la taille des cuisses à Faroma et son torse laisse voir une musculature surdéveloppée. Ses jambes légèrement pliées nous laissent deviner son incroyable force. Dans son dos se trouve une paire d’ailes suffisamment puissante pour s’envoler ; sur sa tête, il y a deux petites cornes. Sa peau, quant à elle, est d’un vert qui s’approche du noir et elle forme une armure naturelle d’écailles qui semble plus solide qu’une cuirasse.

Une flèche siffle à mes oreilles : Golorel a tiré un trait qui est venu se ficher dans le cou d’un orc. Les incantations de Fabbia et de Lumiel se mélangent aux cris de guerre de Faroma et de Bramak. Sorthérus au poing, je me jette dans la mêlée. Faroma me crie de lui laisser le démon, ce que j’accepte avec grand plaisir. Les deux chevaliers se joignent à nous dans le combat. J’élimine avec facilité mes assaillants car ils ne peuvent rivaliser avec la puissance de mon épée. Quand je regarde autour de moi, je vois Faroma en difficulté face au démon et personne qui peut l’aider : tout le monde est en train de se battre et les sorcières sont toujours en train d’invoquer les puissances magiques. Je décapite mon nouvel adversaire et, malgré la terreur que m’inspire le démon, je viens en aide à mon ami. Au moment où j’approche de ce démon, une rage guerrière monte en moi et s’empare de tout mon esprit. Le démon ne peut tenir tête à nous deux à la fois et commence à reculer. Après la joie et le triomphe, je peux maintenant lire dans ses yeux la haine et la peur. N’en pouvant plus, il décide de rompre le combat et prend son envol. Alors qu’il commence à s’élever, une flèche vient le frapper ; malgré tout, il continue à monter dans les airs. A ce moment là, un puissant éclair le frappe de plein fouet et le jette au sol. Je me retourne et vois Fabbia la main tendue encore secouée par son sortilège. Lumiel la rejoint et elles se joignent les mains en psalmodiant une incantation. Le démon se relève avec difficulté et commence une incantation lui aussi : il tend son bras noueux d’où fuse une boule d ‘énergie vers notre groupe. Les magiciennes ne pouvant nous protéger, je sens la mort approcher à grand pas quand j’entends la voix de Sorthérus dans ma tête qui me dit de la lever. Lorsque cette boule arrive à moins d’un mètre, elle change de trajectoire pour venir s’écraser sur la lame magique qui absorbe toute l’énergie sans difficulté. A ce même moment, une colonne de flammes bleues s’échappe de la main droite de Fabbia et une colonne de flammes vertes de la main gauche de Lumiel ; ces colonnes se joignent face au démon puis forment un tourbillon qui va le dévorer. Maintenant que le combat est terminé, je constate avec horreur qu’un grand nombre de corps de chevaliers sans vie gisent autour de nous. Lumiel s’approche du sorcier elfe et pose la main sur son front. Au bout de quelques instants, ce dernier reprend connaissance. Les trois survivants nous remercient de les avoir sauvés puis reprennent leur voyage et nous le nôtre. La journée se passe sans qu’aucun autre incident ne vienne troubler notre route.

Cette nuit encore mon sommeil est troublé par des cauchemars. Je me retrouve face à un immense démon et ne peut bouger ; tous mes compagnons de route sont ici eux aussi, mais attachés et torturés par des dizaines d’orcs. Je sens qu’une personne arrive dans mon dos et, au moment de me retourner, je me réveille ; Fabbia, l’air inquiet, est en train de me secouer.
²_ Eh, ça va ? Je t’ai entendu gémir dans ton sommeil et tu transpires énormément.
²_ Je fais des cauchemars ; plus on approche et plus j’ai l’impression d’en faire.
²_ C’est ton tour de garde ; tu veux que je te tienne compagnie ou ça va aller ?
²_ Non, c’est bon Fabbia ; va te reposer.
²_ Très bien.²
Fabbia est partie s’étendre, mais je sens qu’elle n’est pas rassurée. Je m’assieds sur une pierre au bord de notre camp et commence mon tour de garde. Des images de ma vie passée viennent me hanter ; je revois mes parents si fiers et heureux lorsque Marie et moi leur annonçons que l’on va se marier. Puis je revois cette voiture rouge fauchant ma fiancée à plus de cent à l’heure sous mes yeux. Je revois cette voiture prenant la fuite. Ensuite, les longues veillées à l’hôpital me reviennent en mémoire. Finalement, je me souviens de ce matin où elle s’éveille pour me dire combien elle m’aime ; je la serre dans mes bras…puis elle meurt. A son enterrement; seuls ses parents, les miens et moi-même sommes présents. J’ai beau essayer de me rappeler, aucun souvenir heureux ne me revient en mémoire ; c’est comme si cette terre maudite me les avait tous volés. De grosses larmes roulent sur ma joue quand j’entends un bruit. Je me lève, l’épée au poing ; Fabbia aussi l’a entendu. Elle me rejoint, un sort sur les lèvres. Nous avançons prudemment tous les deux vers l’endroit que nous pensons être le lieu d’origine du bruit mais ne voyons rien. Après une bonne dizaine de minutes d’inspection aux abords du camp, nous retournons nous asseoir à la lumière du feu. Fabbia décide de rester à mes côtés car elle ne peut s’endormir.

²_ Que se passe-t-il ? Tu sembles triste.
²_ Ce ne sont que de mauvais souvenirs qui me reviennent en mémoire.
²_ Tu veux en parler ? Des fois ça fait du bien.
²_ Quand j’étais dans mon monde, il y avait une femme que j’aimais. On devait se marier mais elle est morte avant. La personne à l’origine de sa mort n’a jamais été retrouvée.
²_ Je suis vraiment désolée.
²_ Elle est morte dans mes bras, à l’hôpital.
²_ L’hôpital ?
²_ C’est l’endroit où vont les gens pour se faire soigner. Tu sais Fabbia, j’ai beau chercher je ne retrouve aucun souvenir heureux. Cette terre me pèse lourdement sur le cœur.
²_ Même avec la femme que tu aimais ? Vous devez avoir été heureux ensemble.
²_ Oui, probablement ; mais je ne me souviens de rien.
²_ Attends, laisse-moi faire.²
Elle me pose une main sur le front en récitant une de ses formules. Un halo bleu m’entoure puis tout disparaît autour de moi. Je me retrouve dans le restaurant où j’ai demandé Marie en mariage. Je la revois me disant oui, des larmes de bonheur coulant sur mon visage. Puis, tous mes souvenirs me reviennent d’un coup : la première fois que je la vois, quand on fait connaissance puis tous les moments heureux que l’on a passé ensemble. Tout se brouille autour de moi, je me retrouve de nouveau assis sur une pierre à côté de Fabbia qui me sourit.

²_ Tu te souviens maintenant ?
²_ Oui, merci Fabbia.
²_ Racontes-moi ; comment vous êtes-vous rencontrés ?
²_ Elle était serveuse dans un bar. Quand je suis rentré et que mes yeux se sont posés sur elle, ça a été le coup de foudre ; je ne pouvais détacher mon regard de cet ange. Rien n’aurait dû se passer entre nous car je devais repartir le lendemain matin, mais j’ai retardé mon départ. Dans la journée, je suis allé la voir et on a fait connaissance. Le reste a suivi tout seul. On est resté ensemble deux ans et demi avant que je ne me décide à la demander en mariage ; une semaine après, elle se faisait renverser. Depuis qu’elle est morte, je me suis juré de ne plus tomber amoureux car ça fait trop mal.
²_ Il ne faut pas parler comme ça ; c’est sûr, l’amour on en souffre. Mais c’est quand même la plus belle chose que les dieux nous aient donnée. Et, à mon avis, c’est le plus grand bonheur qui puisse arriver dans la vie.
²_ Je ne suis pas d’accord avec toi ; pour moi, le plus grand bonheur qui puisse arriver dans une vie, ce sont les enfants.
²_ Oui, c’est vrai. Mais si on est heureux, c’est qu’on a de l’amour à leur donner ; tu vois qu’on revient toujours sur l’amour. Les dieux nous ont donné l’amour et les enfants, et rien que pour ça, nous nous devons de les remercier.
²_ Tu parles de Dieu comme s’il y en avait plusieurs.
²_ Vous ne vénérez plus les dieux dans votre monde ? Pas étonnant qu’ils vous aient abandonnés.

²_ Les dieux ? Il y a plusieurs religion qui donnent chacune un nom différent à Dieu, mais moi je pense en fait qu’il ne s’agit que d’un seul et même dieu.
²_ Et quel est son nom ?
²_ Certains l’appellent Allah, d’autres Yahvé ou Jéhovah ; d’autres encore l’appellent tout simplement Dieu. Pourquoi ? Tu crois qu’il pourrait y avoir un rapport avec tout ça ?
²_ Je ne le crois plus, maintenant j’en suis persuadée.
²_ Explique-toi.
²_ Les cataclysmes qui ont détruit trois des cinq mondes sont l’œuvre des dieux. Les populations ne les respectaient plus. Ce qui déclancha les cataclysmes, ce sont les revendications faites par ces gens. Ces trois mondes étaient les plus prospères et ils considéraient ça comme normal et non pas comme une faveur des dieux. Leurs dirigeants, qui étaient frères, en sont même venus à exiger la divinité et posèrent un ultimatum aux dieux : si leur requête n’était pas satisfaite, ils enverraient des troupes en Carna la Verte et viendraient prendre eux même ce qu’ils souhaitaient.
²_ Carna la Verte ?
²_ C’est la demeure des dieux.
²_ Et il est possible de les attaquer et de voler la…divinité ?
²_ Oui, eux en avaient le pouvoir. Si les troupes sont assez nombreuses et bien entraînées si l’on dispose d’une armée de sorciers extrêmement puissants maniant l’épée aussi bien que la magie, c’est possible. On peut même tuer les dieux. Quant à la divinité… Une légende raconte qu’au cœur de Carna la Verte jaillit la Source de Vie et que quiconque en boirait deviendrait un dieu.
²_ Laisse-moi deviner la suite : les dieux voyant les forces dont disposaient ces rois ont voulu éviter la guerre, et pour cela il n’y avait que deux façons. Soit ils satisfaisaient aux désirs de ces mortels, soit ils les détruisaient ; la deuxième solution leur parut la meilleure.
²_ Oui. Qui plus est, cela leur permettait de faire un exemple. Ils envoyèrent leur colère sur les trois mondes les réduisant à néant. Nos deux mondes furent épargnés car ils n’avaient pas pris part à la rébellion contre les dieux, mais ils furent quand même touchés. De plus, la communication entre les mondes fut détruite. A cette époque, les dieux descendaient régulièrement dans notre monde sous différentes formes et pour diverses raisons. Cependant, depuis que les cataclysmes se sont produits, un dieu manque à l’appel ; ses prêtres ont, bien heureusement, perdus tout pouvoir.

²_ Quel est-ce dieu ?
²_ C’est le dieu de la haine, du malheur, de la mort, de la guerre, de la pestilence et d’autres choses encore que chacun redoute. Tout le monde le croyait…le croit mort détruit par un des cataclysmes alors qu’il était descendu. Je sais maintenant qu’il n’en est rien.
²_ Tu veux dire que ce dieu n’est autre que…
²_ Yahvé le maudit, oui !
²_ Mais non, c’est impossible ! Dieu est amour !
²_ Regarde ton monde. Si Dieu est amour, comme tu dis, crois-tu qu’il aurait laissé toutes ces horreurs se produire ? Ne crois-tu pas qu’il serait intervenu ? Il a très certainement instauré la haine dans le cœur des hommes. C’est lui qui vous pousse à vous détruire, mais il met quand même un frein car il a besoin de vous ; il a besoin de fidèles desquels il tire sa puissance.²
Le silence s’installe tandis que je réfléchis à ce que m’a dit Fabbia ; ça explique bien des choses dans mon esprit.

L’aurore commence à pointer, nous réveillons donc nos compagnons car nous devons reprendre la route assez rapidement. Fabbia met son frère au courant du bruit entendu cette nuit ; il est clair que nous sommes suivis. Faroma décide que nous devons découvrir qui est notre mystérieux poursuivant et savoir pourquoi il nous suit. Le groupe se met en marche et Golorel reste en arrière garde pour essayer de voir des signes de notre poursuivant. Arrive le soir et nous installons le camp dans une petite clairière située au milieu de la sinistre forêt que nous traversons actuellement. Golorel revient et nous dit n’avoir rien remarqué de particulier. Les étoiles brillent dans les cieux et forment des constellations qui me sont inconnues. Je prends le premier tour de garde alors que les autres vont se coucher. Fabbia affirmant n’être pas fatiguée s’assoit à mes côtés pour me tenir compagnie. Après dix minutes d’une conversation banale, la magicienne baille à s’en décrocher la mâchoire Je lui conseille donc d’aller se coucher.